Extrait de la pierre et le sabre, un petit texte d'excuses d'une finesse admirable.
Sekishusai est un vieil homme sage, petit seigneur local, maître d'une technique de sabre très réputée à travers le Japon. Il s'est retiré du monde et cherche à se protéger des étudiants errants ou des guerriers provocateurs. Ses fils sont placés chez le Shogun, l'un d'eux est même formateur aux arts martiaux. Le vieil homme n'a rien perdu de sa vigueur au combat. Sa vie, désormais, est de cultiver des pivoines, écrire des poèmes japonais et de couler des jours heureux au son de la flûte de la jeune femme qui lui tient compagnie.
Voilà que trois jeunes samouraïs, fils de daimyos puissants, et courtisans de l'empereur, viennent dans le "fief" de Sekishusai et exigent, diplomatiquement, de le rencontrer pour se mesurer à lui. Sekishusai décline une première fois leur sollicitation mais, comble d'outrecuidance, les jeunes samouraïs annoncent qu'ils viendront quand même visiter le dojo de Sekishusai et qu'ils espèrent bien pouvoir obtenir de lui une "leçon" (de là à considérer qu'ils vont le défier tout aussi sec, il n'y a qu'un pas).
Sekishusai souhaite éviter cette rencontre avec ces hommes frustres et décide de leur envoyer Otsu, la jeune fille qui lui tient compagnie au matin de la rencontre. Elle doit leur remettre une lettre d'excuses accompagnée d'une pivoine blanche, fleur rare dans cette partie du Japon. Le vieil homme a pris le parti de flatter les samouraïs.
Voici les termes de la lettre d'excuses :
"Pardonnez-moi d'envoyer mes salutations par lettre au lieu de vous rencontrer moi-même ; hélas ! Je suis un peu enrhumé. J'espère qu'une pivoine blanche comme neige vous donnera plus de plaisir que le nez coulant d'un vieillard. J'envoie la fleur par la main d'une fleur, en espérant que vous agréerez mes excuses. Mon vieux corps se repose en dehors du monde quotidien. J'hésite à montrer mon visage. Je vous en prie, souriez avec pitié à un vieil homme."
Et le coup de grâce porté par Otsu :
"Il a dit aussi qu'il aimerait prendre avec vous une tasse de thé mais qu'il hésite à vous inviter chez lui car il n'y a là que des guerriers ignorants des finesses de cette cérémonie. Munenori [le fils aîné de Sekishusai] se trouvant à Edo, il a le sentiment que le service du thé serait grossier au point de provoquer l'hilarité de personnes venues de la capitale impériale. Il m'a priée de vous demander pardon, et de vous dire qu'il espère vous voir une autre fois."
Ils sont partis furieux ;)
Vous avez dit :
Anne88 (http://atmosphere88.bloguez.com)
L'art de l'esquive... Presque sans bruit, sans grande colère de la part de l'homme sage,
L'art de faire passer un message courtois pour désamorcer la bombe..
Qui devrait en prendre de la graine ? Tellement beaucoup comme diraient des enfants..
-> Une esquive subtile, courtoise, qui éconduit habilement les querelleurs. Voyez le "diamant" qui se cachait dans ces excuses. La pivoine présentait une particularité que seul un vrai bushi pouvait observer et, à sa simple vue, comprendre que le vieux Sekishusai était un maître de son art et abandonner tout projet de défi. Au retour d'Otsu à la citadelle, le vieux sage voulu savoir si le chef des samouraïs avait examiné la pivoine. Otsu répondit que oui mais que l'observation avait été rapide et qu'il avait repoussé méprisamment le présent. Et le vieux maître de conclure à sa supériorité indiscutable sur ce fanfaron et d'affirmer que la rencontre aurait été fatale au jeune guerrier. Plus tard, la pivoine a été "lue" et comprise par quelqu'un à qui elle n'était pas destinée... ;)