"Mourir pour la patrie, quitter une famille, des enfants, une épouse chérie, seroient plus supportables si je ne voyais pas au bout de la liberté perdue et tout ce qui appartient aux sincères républicains, enveloppé dans la plus horrible proscription. [...] Les méchants sont les plus forts, je leur cède."
Texte d'adieu écrit par Gracchus Babeuf à l'attention de sa femme et de ses enfants
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Le 26 mai 1797, la Haute Cour de Justice de la République française condamne à la peine de mort Gracchus Babeuf, révolutionnaire égalitariste considéré comme le premier communiste moderne. Babeuf était jugé pour son implication dans un complot visant à renverser le directoire, instaurer l'égalité entre tous les citoyens et organiser une communautarisation des biens privés.
Jugement de la Haute Cour de Justice - 7 prairial de l'an V de la République française
"Condamne Gracchus Babeuf et Augustin-Alexandre Darthé à la peine de mort"
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Le premier fait notable de cette histoire est que la Haute Cour de Justice, juridiction d'exception, se soit retrouvée à siéger pendant un peu plus de deux mois à Vendôme, dans le Loir-et-Cher, à une centaine de kilomètres de Paris. Retour en arrière...
Les meneurs du complot cité ci-dessus, appelé "conjuration des égaux", sont arrêtés le 10 mai 1796. Parmi eux se trouve Jean-Baptiste Drouet, conseiller des Cinq-Cents : la Constitution de l'an II prévoit qu'un procès contre un membre du corps législatif doit se tenir devant la Haute Cour de Justice. Et nous voilà partis pour un procès d'exception. Notons au passage que ledit Drouet est l'homme qui a permis l'arrestation de Louis XVI lors de sa fuite à Varennes, et, accessoirement, que ce Drouet réussira à s'évader assez facilement avant le transfert des prisonniers à Vendôme.
Même si je n'en ai pas retrouvé de sources historiques précises, il semblerait que la délocalisation de la Cour de Justice ait été motivée par les risques de troubles populaires dans la capitale où les thèses égalitaires de Babeuf trouvaient un certain écho. Exemple : "Le 26 mai 1796, les anciens Panthéonistes et Montagnards tentèrent de les (prisonniers) libérer en soulevant le peuple" (source : Histoire de Gracchus Babeuf et du babouvisme : d'après de nombreux documents inédits. T. 1 / par Victor Advielle). Aussi, la commune de Vendôme, loin de l'influence parisienne et disposant d'une administration locale favorable au directoire, est désignée pour accueillir ce procès.
Portrait de Gracchus Babeuf
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Les débats, devant la Haute Cour de Justice, sont féroces : Babeuf se défend avec éloquence, parfois jusqu'à l'épuisement. Les accusés nient le complot dont on les accuse, ce que reconnaîtra d'ailleurs le jury de la Haute Cour. Cependant, coupable d'avoir voulu le rétablissement de la Constitution de 1793, acte puni de mort depuis la loi du 25 germinal de l'an IV, Babeuf, ainsi que Darthé, un autre co-accusé, est condamné à mort.
Il est relaté, souvent, que Babeuf et Darthé auraient alors tenté de se suicider en se poignardant la poitrine avec, selon les sources, un stylet, ou un poignard, ou un fil d'archal aiguisé sur le pavé ou encore le ressort d'une montre ! Il semblerait que les récits de l'époque rapportent cette tentative de suicide, qu'elle ait eu lieu au moment de l'énoncé du verdict ou au retour en cellule, mais je ne suis pas convaincu que le fait soit historique. Buonarotti, co-accusé, racontera plus tard ce fait, mais là encore une manipulation "politique" de la fin de Babeuf n'est pas à exclure.
Une chose est certaine c'est que le lendemain du verdict, soit le 27 mai 1797, à 5 heures du matin, Babeuf et Darthé étaient guillotinés à Vendôme, sur la place d'armes, devenue aujourd'hui la place de la République. C'est la seule et unique fois ou la guillotine révolutionnaire aura été dressée à Vendôme.
Les corps des condamnés ont probablement été exposés au public (notamment devant la femme de Babeuf venue le soutenir à l'occasion du procès) et les historiens s'entendent sur le fait que les corps furent ensuite inhumés dans le cimetière principal de la ville (cimetière du Grand Faubourg). Ce cimetière n'existe plus aujourd'hui.
François Topino-Lebrun - la Mort de Caïus Gracchus
Fin du XVIIIe siècle (1797-1798)
Musée des Beaux-arts de Marseille (France) ; numéro d'inventaire : 482
A la suite de ce procès, impressionné par le sort de Babeuf, le peintre François Topino-Lebrun réalise la toile "la Mort de Caïus Gracchus", ci-dessus, qui, bien que trouvant sa matière dans l'histoire antique, est une allusion directe à la tentative de suicide (rapportée) de Babeuf.