Comprendre, c'est assembler sous l'unité d'un sens, ça nous l'avons déjà dit.
Pour assigner un sens à une chose, il faut sélectionner cette chose, l'isoler de l'ensemble.
L'ensemble est un monstre que nous ne pouvons penser correctement.

La perception, par exemple, est amalgamante : tout se mêle dans les informations que nous recevons, elles sont "brutes", se mélangent, se complexifient. Je regarde par ma fenêtre : le vois la lumière, le vent, les feuilles... A travers ces données, je connais l'heure de la journée, l'intensité du rayonnement solaire, le sens dans lequel souffle le vent, son effet régulateur sur la température, je perçois la saison à laquelle nous sommes. Mais également le temps qu'il fera dans les heures qui viennent, le nombres d'années dans lesquelles il faudra intervenir pour rénover les bâtiments... Rajoutons à ces seuls éléments visuels les informations perçues par l'ouïe ou par la peau : en un simple coup d'oeil de quelques secondes, ce sont plusieurs centaines d'informations qui m'ont été communiquées, plus ou moins consciemment.
Penser l'ensemble par "petits morceaux", en le simplifiant, est beaucoup plus réalisable. Descartes nous l'apprenait : pour surmonter une difficulté, il faut commencer par la décomposer. "[...]de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre". (Discours de la méthode).
Là où la question "Avez-vous vécu une enfance heureuse" ne pourra pas être pensée facilement, la décomposition de l'enfance en phases chronologiques et l'analyse objective de chacune de ces phases pourra permettre d'obtenir une réponse plus élaborée, plus juste, qu'une réponse directe.
Une fois que nous avons sélectionné ce qui nous importe d'examiner, il faut retirer tout ce qui y est subjectif, sensible, en un mot tout ce qui risque de nous parasiter lors de la réflexion. Le résultat s'appelle une abstraction : une chose isolée qui n'est pas déformée par les sens. C'est un bout de la réalité auquel nous aboutissons par une démarche strictement intellectuelle.
Ainsi, une décision qui apparaîtra comme bonne dans un contexte donné se révélera catastrophique une fois analysée abstraitement : quel intérêt à exposer ses hommes en les faisant pourchasser une poignée de fuyards ? Pourquoi retarder une échéance qui ne peut qu'intervenir ? Pourquoi se maintenir dans une situation qui ne génère que des effets négatifs à moyen terme ?
L'abstraction, de par la simplification qu'elle introduit, permet de réappréhender logiquement un ensemble, ce qui est plus difficile à réaliser quand on perçoit les faits dans leur complexité, dans leur globalité.

A réfléchir également : l'abstraction permet de passer d'une logique d'évènements (un fait, une chose, un sentiment) à une logique de relations (une cause, une conséquence, un résultat). L'abstraction permet d'articuler les évènements entre eux, leur donnant ainsi un relief là où leur simple perception les réduit à une énumération ou une description.