Au fil des siècles, la localisation de la capitale de l'antique empire de Babylone s'est perdue, seules les populations locales conservaient la mémoire de l'emplacement d'une cité puissante ensevelie sous les sables, desquels surgissaient parfois des tablettes de terre cuite, des cylindres mystérieux ou des briques colorées. Une colline, dénommée "Tell Babil" et située au nord de la cité, gardait encore une référence à cette capitale disparue.
Située hors des grandes routes, dans une région aride et peu hospitalière, le site de Babylone ne pouvait pas être découvert "par hasard". Les touristes du XVIIIe et XIXe siècles étaient invités, en guise de tour de Babel, à visiter une ziggourat du IIe siècle dans la proche périphérie de Bagdad, bien loin de l'emplacement réel de la ziggourat du temple de Marduk à Babylone qui fut l'inspiration probable du mythe biblique. Un lion de granit gris, à moitié enseveli, était, par contre, montré aux visiteurs qui venaient dans la région de la vraie Babylone.
Plan manuscrit d'une partie de la cité antique - 1920 environ
La redécouverte de Babylone se fait en plusieurs temps : les Français et les Anglais traversent la région, cartographient, interrogent, achètent des antiquités, émettent parfois des hypothèses, mais aucun n'identifie la localisation de la cité perdue.
Revenant de Londres où il avait pu observer de nombreux bas-reliefs que l'Angleterre avait découvert dans une Mésopotamie "abandonnée" des Français, le ministre de l'intérieur, Léon Faucher, fait voter à l'Assemblée Nationale, en août 1851, un budget de 78 000 francs pour financer une expédition scientifique et artistique en Mésopotamie.
L'expédition part de France au mois d'octobre 1851. A sa tête, le diplomate français Fulgence Fresnel (par ailleurs cousin de Prosper Mérimée et frère d'Augustin Fresnel, physicien a qui l'on doit des découvertes dans le domaine de l'optique), accompagné du docteur Jules Oppert (orientaliste et épigraphiste allemand), de Félix Thomas (architecte) et d'Edouard Perreymond (secrétaire-comptable de la mission).
La mission, fortement documentée, demeure célèbre par ses échecs. Du fait de retards liés à l'instabilité de la région, de sérieuses difficultés financières sont intervenues très tôt, ralentissant les travaux de fouilles qui avaient démarré en juillet 1852, et rendant difficile la vie quotidienne du groupe. A cela s'ajoutèrent les difficultés de communication avec les administrations françaises en charge du suivi de l'expédition, les ordres et contre-ordres et les demandes tatillonnes de justifications comptables. Puis, la santé des uns et des autres a été mise à rude épreuve. Ainsi, Thomas, qui souffrait déjà d'hépatite avant sa venue en Babylonie, fut un jour pris de fièvre et d'un profond délire paranoïaque, ce qui le conduisit à faire feu sur un cheikh, persuadé que celui-ci voulait l'assassiner. On imagine les risques qui auraient pesé sur les occidentaux si Thomas avait réellement tué cet homme... Enfin, les relations entre les différents membres de la mission n'étaient pas les meilleures, surtout entre Fresnel et Oppert. Progressivement, l'équipe s'est délitée. Fresnel, malade, épuisé et découragé, demeurera à Bagdad jusqu'en 1855 où l'opium, la dysenterie et des problèmes circulatoires précipitèrent sa mort le 30 novembre. Pire encore, le matériel archéologique trouvé à Babylone, soit une quarantaine de caisses, sombra dans le Tigre le 20 mai 1855, près de Kournah, à la suite d'une énième tentative de pillage de l'embarcation sur laquelle se trouvaient les pièces.
Mais le bilan de l'expédition française, bien que peu glorieux, n'est pourtant pas négligeable : tout d'abord, la mission a permis d'identifier, grâce aux textes et objets découverts dans le kasr (tumulus artificiel qui s'élevait à l'emplacement du palais royal antique), que le site fouillé correspondait bien à la capitale de l'empire babylonien. De plus, ces recherches ont permis à Oppert de publier, à partir de 1859, des travaux importants relatifs à l'écriture cunéiforme.
Les conclusions de Fresnel, dans une lettre testament du 31 janvier 1855, démontrent que le chercheur, en plus de ne pas avoir su trouver les vestiges encore enfouis, se fourvoyait sur l'intérêt archéologique du site. En effet, il indiquait au ministre de l'intérieur que l'intérêt pour ce site était fondé sur une chimère ayant aveuglé les Anglais quelques dizaines d'années plus tôt. Pour lui, il n'y avait plus de bâtiment gigantesque ou de découverte majeure à faire sur ce site antique, le temps ayant fait son oeuvre.
Pour en savoir plus :
- Jules Oppert, "Expédition scientifique en Mésopotamie exécutée de 1851 à 1854", Tome 2, 1859
- Jules Oppert, "Expédition scientifique en Mésopotamie exécutée de 1851 à 1854", Tome 1, 1863
- Maurice Pillet, "L'expédition scientifique et artistique de Mésopotamie et de Médie - 1851-1855", 1922