Après Narcisse et Goldmund, Suite(s) impérale(s), ne craignant ni les orages d'été, ni bison fûté, ni les après-midi estivales de repassages sous les combles avec un pull et des moufles, D&D et moi avons décidé d'engager une nouvelle lecture croisée :
Christine Angot - Une semaine de vacances
comprendre - Pas sûr de ce que je vais lire, du plaisir que je vais y prendre ; un livre qui manifestement a divisé les lecteurs, plutôt contre lui d'ailleurs, enfin il m'a semblé.
D&D - J'en suis au premier tiers. Le livre est très court. Mon premier "étonnement" est là : ce sera la première fois, depuis L'Inceste, que je ne lirai pas un livre de Christine Angot "d'une traite", ou tout comme. Cela ne m'est pas possible. J'ai l'impression : parce que je ne trouve pas de "refuge". Il y a la restitution précise d'un mécanisme de violence et rien pour se raccrocher, au sens reprendre de l'air, ou c'est ma première impression : rien comme par exemple une échappée émotionnelle (je ne dis surtout pas qu'il faudrait le faire, mais c'est évident que ça "dépressuriserait"), ou rien comme une attraction pour la "forme" de l'écriture. Je trouve ça très difficile à lire. Maintenant je lis comment ça commence pour toi.
comprendre - Le lecteur subit la pression permanente de cette relation à sens unique, ou quasi unique, je comprends parfaitement l'étouffement que tu as pu ressentir au fil des pages et ton souhait de faire une pause en repassant IRL.
comprendre - A la lecture des premières pages, on se dit qu'il vaut mieux connaître le contenu de ce livre avant de l'offrir, disons à sa belle-mère ou à sa cousine. Le style est précis, abondant en détails mais sans pour autant créer une impression d'inventaire. Le malaise s'installe assez vite par rapport à la relation entre l'homme et la femme, des indices progressifs nous font comprendre que quelque ne va pas : une épouse, des maîtresses nombreuses évoquées sans tabou, une contrainte latente, une action mécanique, presque rationnelle, dans l'activité sexuelle côté amante. Et puis se pose carrément la question d'un inceste, celui dont nous serions, sans le savoir, témoins depuis la première ligne du roman (la curieuse association jambon / lunette des toilettes). L'âge est d'ailleurs abordé très originalement au départ, sous l'angle des lectures de la narratrice (Gilbert Cesbron, Yvanhoé - avant qu'il ne soit trop tard). Et puis on se remémore les indices croisés dans les premières pages sur la description physique de la femme, la taille de sa bouche, ses formes... Femme-enfant ou enfant ? Le doute est moins permis lorsque se profilent des liens de parentalité et l'inexpérience sexuelle. La certitude commence à l'emporter sur le doute à la page où je suis rendu.
Citation : D’un mouvement brusque, il se lève. Il est debout sur la descente de lit. Sur ses deux pieds. Il se dirige vers l’armoire. Dans laquelle il attrape un pantalon, une chemise, un pull, et il sort de la chambre, à pas bien sentis. Il se dirige vers la salle de bain, et lui crie, du couloir, d’une voix sèche, très nette, qu’il va être obligé de rentrer plus tôt que prévu, car il a du travail. Il lui avait dit qu’il n’était pas sûr de pouvoir rester en vacances toute la semaine. Elle lui demande s’il est sûr que ça fait moins mal avec de la vaseline.
D&D - Qu'on ne sache pas tout de suite qu'on est dans une situation d'inceste me semble très bien. Ça aussi, ça empêche un "refuge". Comment dire... j'ai l'impression que d'une certaine manière si on commence en disant c'est un inceste, il y a toujours le risque de mettre la situation dans une case, de ne plus la voir pour ce qu'elle est. Comment ne pas tout suite raccrocher à une telle situation ce qu'on croit déjà savoir sur elle ? J'ai du mal à m'expliquer, mais ça (me) permet ça. Là, j'ai l'impression d'être confronté "pour de bon" à la situation. Par ailleurs, ça permet aussi d'approcher un mécanisme de violence qui n'est pas "réductible" à l'inceste. Ce truc de nier l'autre. Je sais pas, c'est compliqué !
comprendre - Je crois t'avoir suivi, on est plongé dans cette relation malsaine sans préparation, au même titre que la victime a dû l'être "au fil de l'eau", on se familiarise progressivement, "embarqués". Il y a peu de violences physiques, juste lorsqu'il est question d'accélérer un peu une situation sexuelle dans laquelle la fille n'adhère pas vraiment, elle est surtout psychologique cette violence, et constante. C'est bien, effectivement, de découvrir la situation sur laquelle n'est pas calqué qu'on pense pouvoir/devoir trouver dans ces schémas, voire à regretter de ne pas trouver (mais si, tu sais les images d'Epinal du genre la petite fille qui pleure assise sur son lit en serrant son doudou dans une pièce éclairée par une porte de chambre entrebaillée, ou encore la petite fille qui regarde de biais dans le vague... tiens, des trucs comme ça, ça ou encore ça). Tout à fait d'accord pour la négation de l'autre, elle est devenue une extension de lui dans un sens, asservie et soumise. Il est d'ailleurs tellement sûr de son emprise complète sur elle qu'il lui révèle même des vérités jusqu'alors cachées (le fait d'avoir tuer un piéton et de s'être enfuit).
comprendre - C'est l'histoire d'une fille seule, qui a soif de culture et d'attention. C'est l'histoire d'un homme narcissique, obsédé par le sexe et manipulateur. Le second rencontre la première et la domine, l'exploite, l'utilise, la nie. Nous sommes invités à lire quelques jours condensés du calvaire. On peut avoir de l'empathie pour elle, dont on ne saurait rien si ce n'est ce à quoi on l'a reléguée, car elle compose au mieux face à une situation qu'elle subit docilement. On ne peut non plus que difficilement lui donner une part de responsabilité car elle semble très jeune, même si ce n'est pas aussi certain que je ne le croyais au premier tiers du livre, en tout cas au moins sur le plan de son développement (constuction personnelle et expérience de la vie). Ma conclusion de la lecture est globalement positive, principalement pour la qualité de l'écriture et la maîtrise des arcanes de cette relation incestueuse (dans sa terminologie légale et/ou psychologique). L'homme est détestable à souhait, haïssable sans être excessivement carricaturé. Le titre du livre est parfait.
D&D - (Le livre est terminé). Je suis très impressionné. Je le relirai un peu plus tard. Je n'ai pas d'avis sur le fait que ce puisse être un grand livre ou non mais je le trouve très important. Depuis, j'ai essayé de trouver quelques propos de l'auteur sur ce travail et voici deux extraits qui m'ont beaucoup parlé :
Vous souvenez-vous avoir décidé d'écrire ce livre ?
Oui, je m'en souviens, à un moment précis s'est concrétisée clairment pour moi l'idée que, même si elle est connue de tous, la dimension sexuelle de l'inceste n'est pas sue, que les gens ne "réalisaient" pas. Ils ne savent pas, parce que c'est trop compliqué à savoir. C'est juste une fino, c'est rien, ça n'existe pas. Ils ne voient pas ce que ça veut dire. Cela vaut de manière plus générale pour le sexe, dans une société qui pourtant prétend en connaître un rayon, être affranchie, à l'aise, en plaisanter de toutes sortes de façons, avec de plus en plus de libéralisme nous dit-on.
Et
Et, pendant tout le courant de l'écriture, une des choses que j'ai recherché le plus, c'est que la perception de la jeune fille soit toujours claire pour le lecteur. Mais qu'en même temps rien ne lui soit demandé à elle, et que le fait qu'elle ne parle pas soit préservé. Vous connaissez la grande phrase : "Ah mais il faut le dire, parlez-en, la la la la..." C'est ridicule, ça n'existe pas. C'est la transformation de toute une société en agent de police qui permet une injonction comme celle-là. Il faut au moins laisser à cette jeune fille la possibilité de ne rien dire, elle ne se trouve pas dans une situation où elle serait capable de produire une parole sociale puisque c'est ce qu'on lui demande. Je voulais qu'on puisse le comprendre. Lorsqu'on cherche à expliquer ça, on n'y arrive pas, quand on veut dire que la question de la parole, du consentement, et tout ça, ça ne marche pas, on s'emmêle les pinceaux. C'est juste impossible. Et cette impossibilité-là, il fallait bien que quelqu'un à un moment donné l'exprime. Tout ce qu'ils sont capables de dire, c'est qu'elles se sentent coupables... Il faut arrêter avec ça. Avec ces trucs psychologisants de très bas étages. On n'est pas du tout là-dedans, on est dans une absorption par le néant, on est dans quelqu'un en train d'être tué. C'est ça que j'essayais d'écrire, c'est comment quelqu'un qui est en train d'être tué se sent. J'ai compris en écrivant ce livre pourquoi ça s'appelait crime, ce truc-là. Il y a tout un tas de mots comme ça, tout un tas de mots qui existent et dont on pense que ce sont des formes vides, mais non. J'ai voulu montrer de quoi c'était plein.
THE END